Résumé de thèse - Exposé de soutenance (Paris1992)



Résumé de thèse - Exposé de soutenance

« Personne et Liberté, ou l’ « être comme communion »
dans l’œuvre de J. Zizioulas » 

 Sorbonne, 18 décembre 1992 

 
 
I. Résumé de thèse
 
Dans notre recherche, l'objectif est de repérer une structure théologique, celle de Jean Zizioulas, les articulations d’une pensée qui pense l’être (identique à la vie) comme événement de communion: l’être comme Mystère personnel, en Christ ressuscité et face au néant de la mort. Le travail présent vise donc, d’emblée, l’ensemble de l’œuvre en question, sa structure et ses équilibres plutôt que tel détail car, il entend offrir ici une piste méthodolo­gique —telle qu’elle émerge de notre lecture de l’œuvre de J. Zizioulas— plutôt que mettre en valeur un point particulier ou quelques thèses parmi celles de ce dernier. Car l’œuvre de notre auteur est déterminée par une herméneutique théologique plutôt que par une thématique théologique.

Le but du travail n’est pas tellement d’analyser le sens du terme “personne” (et “liberté” implicite au terme “personne”). Des publications de l’auteur suffiraient largement. Mais, néanmoins, la thèse est à la recherche d’un éclaircissement du con­tenu de la notion de “personne” (et corrélativement de “liberté”) en ontolo­gie chez J. Zizioulas. Que veut dire exactement “être personne” (personhood) et d’abord à quel type d’ontologie fait-il référence dans l’œuvre en question ?

La différence entre “individu” et “personne” est bien connue (cf. les “personnalismes” en philosophie). Une question majeure s’impose à nous. Du moment que “personne” implique la relationalité, peut-on dire que le terme connote une “nature relationnelle” ou une “nature extatique”? La “personne” relèverait-elle de l’ordre du naturel (ferait-elle ultimement, ontolo­giquement, référence à la nature) ? Ou bien l’ordre du personnel et l’ordre du natu­rel représentent-ils deux choses —deux approches de la réalité ontologique, de l’ “être” lui-même— complétement différentes (via naturæ, via personæ) ? Autrement dit, à quoi l’“être” fait-il référence en dernière instance (en onto­logie véritable) en tant qu’hypostase véritable (όντως υφεστηκώς") : à l’ordre du naturel (à “nature”) ou bien à l’ordre du personnel (à “personne”)? Un des buts de la thèse sera de montrer comment l’irréductibilité absolue de l’ordre hy­postatique à l’ordre naturel (de la personne à sa nature) —la non confusion possible entre “personne hypostatique” [ou “hypostase personnelle” (comme hypostase et extase simultanément)] et une “nature extatique-relationnelle” (qui serait naturellement extatique et relationnelle)— sont respectées et mis en œuvre dans la pensée de l’auteur. A partir de là, il s'agit de tirer des im­plications pour un débat théologique, inter-orthodoxe et inter-ecclésial (cf. “Epilégomènes”).

Dans quel type d’ontologie: Y-a-t-il une “ontologie chrétienne” et comment (sous quelles conditions) peut-elle être conçue? A l’être lié à la nécessité, ou à l’être lié à la liberté?) Quelle est la différence entre “ontologie philoso­phique et “ontologie théologique, entre “justification phi­losophique de la théologie” et “justification théologique de la philosophie” (autrement qu’ “onto-théo-logie”) et qu’est-ce qu’elles comportent (ces deux positions) pour la systématique ec­clésiale (hétéro-interprétation/auto-interprétation du Mystère de Dieu —et de l’homme— en Christ et des déclarations dogmatiques qui le commentent) ?

L’objectif de la thèse consistant à présenter de manière systématique l’œuvre en question, ses articulations majeures, par le biais des “personne” et “liberté” dans l’“événement de communion” personnelle, libre et agapétique, nous poserons certains problèmes : quel est le champ sémantique de la “personne”, comment nous l’utili­sons en “triadologie” (théologie trinitaire), en “christologie” et en “anthropologie” et comment s’articulent entre eux les différents chapitres de la dogmatique —spécialement les articulations générales, les dialectiques, Théologie-Economie et histoire-eschatologie [comme inclusion enhypostatique (en Christ et par l’Esprit) —“sans sépara­tion, ni confusion” de manière asymétrique— de l’Economie à la Théologie] et histoire-eschatologie [comme inclusion enhypostatique (en Christ et par l’Esprit) —“sans sépara­tion, ni confusion” de manière asymétrique— de l’histoire dans l’eschatologie].

La thèse, qui porte sur la théologie systématique de l’auteur, sur son herméneutique théologique, plus précisément ‘eucharistique’, est structurée en trois parties qui ont le sens des (1) “Prolégomènes de la Dogmatique”, (2) “La Dogmatique” et (3) “Epilégomènes à la Dogmatique”. La première partie correspond au moment de théologie fondamentale; la deuxième au moment de théologie dogma­tique et la troisième concerne les discussions suscitées par la vision systématique comme par différents points de la dogmatique de l’auteur. Il doit être mis clairement en relief que, les deux premières parties sont en interdépendance stricte tandis que la troisième ne l’est qu’indirectement par les éclaircisse­ments supplémentaires qu’elle apporte éventuellement.

Relevons et pointons que le moment de la “théologie fondamentale” ne découle pas d’a priori quelconques extra-dogmatiques (cf. preambula fidei) mais de la dogmatique, mieux des dogmes eux-mêmes. Le fondamental et le dogmatique en théologie s’impliquent mutuellement afin d’éviter le plus possible toute hétéro-interprétation des dogmes. Serait-il pour autant un cercle herméneutique fermé et replié sur lui-même ? Nous ne le croyons point. De quel type de non hétéro--interprétation des dogmes s’agira-t-il alors ? Nous croyons que la ré­ponse est déjà donnée in nuce dans le type (ou bien/ou bien) de la dialec­tique “créé/incréé”, dans une approche extatique, “communionnelle et eu­charistique”, de la Vérité dans l’eucharistie ecclésiale. Le point fo­cal, le “lieu ouvert” de l’herméneutique et de la systématique de notre auteur est sa vision communionnelle de l’eucharistie. L’eucharistie “en” Christ en tant que l’eucharistie “du” Christ est le “lieu de la Vérité”. Cela justifie, nous semble-t-il, la structure de notre thèse et l’articulation entre les différentes parties de la systématique de J. Zizioulas.

Le but de la recherche est commandé par un souci méthodologique. Etant donné « la priorité des présupposés méthodologiques sur les thèses con­crètes » d’après notre auteur, nous chercherons comment la “personne” et sa “liberté” jouent dans sa construction systématique. D’où et comment elles tirent leur origine, leur sens, et comment elles sont utili­sées dans la cohérence de l’œuvre autour de ses catégories. Il s’agira d’un déchiffrement du fonctionnement de la “personne” et de sa “liberté” au sein de l’œuvre de J. Zizioulas pour y discerner les articulations qu’elles créent. Il nous semble, en effet, que la cohérence de l’œuvre dépend de la juste compréhension de ces termes.

Il y a aussi un souci œcuménique. J. Zizioulas lui-même affirme que «les orthodoxes ont leurs présupposés méthodolo­giques» à partir desquels les thèses théologiques doivent être comprises et discutées. Nous serons ici à la recherche de ces présupposés (éclair­cissement et discussion). Mais que veut dire J. Zizioulas par «présupposés orthodoxes»? S’agira-t-il des présupposés de la théo­logie “orthodoxe” tout court (v. “catholique” et/ou “évangélique” —au sens confessionnel des termes) ou pire, d’une théologie “orthodoxe” précise, celle de J. Zizioulas? Il n’en est pas question ici. Il s’agira des présupposés ortho-doxes (= non hétérodoxes) d’une théologie ecclésiale, celle de l’auteur, et peut-être aussi de toute théologie ecclésiale. C’est le défi que l’auteur nous lance. Mais avant une acceptation ou un refus de la “prétention ecclésiale” de l’auteur incluse dans ce défi, il nous faut la comprendre et percevoir ses enjeux. La thèse pourrait contribuer ainsi à repenser les catégories ecclésiales (ni confessionnelles, ni culturelles) de “tradition” et d’ “ortho-doxie” dans le dialogue interecclésial.

Les présupposés méthodologiques de notre travail sont commandées par la méthodologie propre à notre auteur  —« la priorité des présupposés méthodologiques [en théologie] sur les thèses [théologiques] concrètes »— en vue d’un discernement qui sous-tend les présupposés ortho-doxes (= non hétérodoxes) d’une théologie ecclésiale. Aussi, qu’en est-il de l’hellénisation du christianisme et de la christianisation de l’hellénisme (rapport Hellénisme-Christianisme) ? Qu’en est-il de la méthode herméneutique de la patristique (en l’occurrence grecque) ?

Structurée autour de l’événement de communion personnelle, l’œuvre de J. Zizioulas fait appel à une “ontologie relationnelle”, où l’être ne dépend plus de lui-même et n’implique pas la nécessité de lui-même. Il dépend de la personne, toujours autre, et implique sa liberté. L’être devient identique à la liberté de la personne ; à la liberté personnelle comme amour dans la communion. Chez notre auteur, le moment de “dé-construction” onto­logique en théologie concerne l’ “être en tant que nature” (είναι ως φύσις) ; le moment de “re-construction”, théologique et ontologique, concerne l’ “être en tant que communion” (είναι ως κοινωνία). Ce faisant, J. Zizioulas se meut dans la perspective de la radicalité apocalyptique du Mystèrion du dernier Adam, le Christ (μυστήριον του Χριστού). C’est ce type d’herméneutique et de méthodologie en théologie qui constitue l’apport le plus original de l’auteur: apport épistémologique et, peut-être aussi ontolo­gique.

Notre auteur, dans l’ensemble de son œuvre, cherche à dégager la vision ontolo­gique contenue dans la  théologie kérygmatique des pères de l’Eglise (notamment grecs) comme ac­tualisation existentielle pour l’homme d’aujourd’hui, dans une démarche de non-hétéro-interprétation du Mystèrion. A ce propos, l’être de l’homme —et, en lui, celui du créé dans son intégralité— est référé à l’être de Dieu dans le cadre d’une vision apocalyptique de la création en tant que “re-création” en Christ. L’être (είναι), qui dit la vie et la vérité de l’existant au sens onto­logique le plus fort, se dé­voile à nous par la catégorie de l’eikôn (εικών): une catégorie apocalyptique et dialectique qui trouve son “lieu” et son “sens”, ontologiques, dans l’hypostase éter­nelle du Christ-Fils (Personne incréée et “personnalité corporative” à la fois). Car, selon J. Zizioulas, c’est la christologie qui constitue le seul point de dé­part d’une intelligence chrétienne de la vérité et de la vie ; et cela dans la communion.

Cette dialectique de l’icône (hypostatique-apocalyptique) brise le monisme de l’ “ontologie close” de la pensée hellénique qui relie l’être de Dieu à celui de la création au sein d’un continuum cosmologique et/ou mystique. Cela devient possible en considérant l’arrière-plan d’une nouvelle vision du rapport “Dieu-monde”: ce que l’auteur appelle “une dialectique ontologiquement absolue (créé/incréé). L’être ainsi —dans le cadre d’une ontologie non plus philoso­phique mais théologique— est référé en dehors de lui-même (dans la com­munion personnelle, exta­tique et, pour nous, eschatologique). Dans l’expérience liturgique de l’anaphore eucharistique de l’Eglise, l’être est ré­féré (αναφορά) à l’au-delà du créé, pour être reçu dans l’action de grâce (ευχαριστία) en tant qu’ “être-identique-à-la-vie”. C’est ainsi que l’être-vie est désormais ex­périmenté comme “être-vie-en-com­munion” (εν κοινωνία) et comme “icône de l’eschaton apocalyptique” de Dieu qui toujours vient en Christ.

Mais cette “com­mu­nion personnelle” (προσωπική κοινωνία) n’existe pas par elle-même, ni en elle-même — comme une structure existentielle ou an­thropologique: c’est le Père de Jésus le Christ qui en est la cause personnelle  (αίτιος) au niveau de l’incréé, d’abord et fondamentalement. C’est ainsi que le Fils-Christ, étant l’image (εικών incréée et hypostatique de son Père, est la cause personnelle du créé propter nos. La communion se réfère donc à la personne et à sa liberté (hypostase et extase simultanément, catégorie comme telle, escha­tologique ou plutôt apo­calyp­tique). Comme le Dieu incréé doit son exis­tence au Père (à une personne concrète et libre qui hypo­stasie sa liberté comme amour, par nature), de même la création créé et l’homme, son centre, doivent leur existence au Fils-Christ (à une personne concrète et libre qui hypo­stasie sa liberté comme amour, par grâce, propter nos). Si Dieu existe, non pas parce qu’Il ne peut qu’exister, mais en liberté per­sonnelle, par nature à cause du Père, de même le créé doit son exis­tence vé­ritable, eschatologique au Fils éternel (à la liberté comme amour du Christ, dernier Adam es­chatologique). C’est ainsi que le créé devient “affranchi” —dans son être créé— en Christ pour exister en liberté personnelle, lui aussi comme Dieu, par grâce. Ainsi l’être véritable est eschatologiquement donné au créé, ou, si l’on veut, le Christ eschatolo­gique constitue le véritable proto­lo­gique, le fondement ontologique de l’être du créé et le contenu de sa vie incorruptible. La “liberté comme amour” de l’ “hypostase-personnelle (ou “personne”) en com­munion” constitue le fondement onto­logique, person­nel et libre, et de Dieu —selon sa nature— à cause du Père, et du créé — selon la grâce de Dieu— à cause du Fils-Christ.

Dans cette “re-construction” de J. Zizioulas —qui s’inspire par­ticulière­ment des Cappadociens et de Maxime le Confesseur— l’ “hypostase-personnelle” (ou tout court, “personne” au sens théologique du terme) est une réalité incréée par nature, et pour nous, c’est-à-dire par grâce (= en Christ dans l’Esprit), apocalyptique-eschatologique. Ici, le temps et l’histoire de la création “ecclésialisée” acquiè­rent leur réalité véritable dans l’icône apoca­lyptique de l’ultime (έσχατον) qu’est la communauté du Ressuscité dans l’eucharistie. La communauté elle-même devient dans son “mode d’existence eucharistique” la manifesta­tion (επιφάνεια) iconique comme communion qui renvoie aux eschata,  à la réalité de l’ “ultime” au sens ontologique et historique le plus fort. Elle de­vient un “communier à l’eschaton” (κοινωνία εσχάτων). L’être créé se révèle par et dans la communauté ecclésiale en tant qu’évé­nement escha­tologique de grâce où l’homme lui-même en Christ a la responsabilité d’être véritablement “le berger de l’être créé”, le “prêtre de la création”.

Cette synthèse de notre auteur, bien qu’elle s’enracine profondément dans cette tradition ecclésiale que l’on appelle l’ “hellénisme chrétien” (G. Florovsky) —où les questions ontologiques des Grecs passent à travers le baptême ecclésial—, se meut dans le cadre d’une catholicité œcuménique de l’Eglise aussi bien de l’Orient que de l’Occident. Son apport théologique prin­cipal consiste, à notre avis, en l’articulation en Christ entre création et eschatologie, d’une part (articulation de l’Economie trinitaire, en Christ), comme entre la chris­tologie (constitutivement pneumatologique, et conditionnée par l’ecclésiologie) et la théologie trinitaire, de l’autre (articulation de l’Economie trinitaire à la Théologie trinitaire, en Christ). Ces articulations présupposent une vi­sion —apocalyptique et désindividualisée— de l’évé­nement Christ, à la fois “Personne” incréée et “personnalité corporative”. Or, c’est cette vision théologique sur l’assise d’une onto­logie ouverte, exta­tique et eschatologique, libre de la gnoséo­logie — “une ontologie relation­nelle”, qui lui permet de se frayer un chemin entre l’approche onto-théo-lo­gique, d’une part, et phénoménologique de l’autre, en théologie. L’être s’y révèle réellement comme don et icône (eschatologique) dans l’altérité hypo­statique. Ce ressai­sissement —à travers la “dé-construction” et la “re-construc­tion”— d’une méthodologie théologique, réel­lement pertinente à son objet du point de vue épistémolo­gique, permet de re­centrer la théologie sur son objet : la réalité comme don eschato­logique dans le mystère de Dieu en Christ ; une réalité qui, au départ (dans l’incréé) est don libre, de l’altérité des Personnes en communion. Une telle approche méthodologique en théolo­gie évite le risque d’une hétéro-interprétation de son objet : le Dieu en Christ. Mais, en dehors de cela, une telle approche ontologique “via per­sonæ” pourrait peut-être constituer une “pro-vocation” pour la philosophie et la question de l’être; question commune et primordiale aussi bien pour le philosophe que pour le théologien.

L’évaluation de l’œuvre en question serait incomplète si l’on ne tenait en considération la nouveauté que celle-ci peut constituer pour une théolo­gie chrétienne des religions ; cela précisement à cause de sa vision christo­centrique, aussi loin que possible d’un “christomonisme” et égale­ment d’un “christoexclusivisme”. Il est vrai que dans notre travail nous n’avons pu que suggérer une telle perspective. Nous sommes profondément persuadés de l’enjeu que l’œuvre de notre auteur représente pour une autre approche et une autre évaluation des religions, à cause de ses présupposés méthodo­logiques ; et notamment à cause d’une approche de l’événement Christ, comme réalité eschatologique par excellence, chez J. Zizioulas et de sa vision iconique du mystère ecclésial du Christ, à savoir de l’Eglise. Elles nous permettraient peut-être d’envisager autre­ment le rapport “Eglise-Religions”; non plus en tant que rapport de pure ex­tériorité, ni de récupération totalisante, mais d’inclusion eschatologique et iconique, dans l’altérité de la vocation, selon le plan de Dieu pour toute l’humanité “re-créée” en Christ. Dans une telle perspective on pourrait peut-être dire que les religions “iconisent” elles aussi, d’une certaine ma­nière, le Christ-Dernier Adam. Dans ce cas, elles se trouveraient enraci­nées eschatologiquement en Lui. Mais ce ne sont ici que des hypothèses d’un tra­vail à venir qui reste à faire...



ΙΙ. Exposé de soutenance


Le travail présent sur la pensée de J. Zizioulas, le mé­tropolite de Pergame vise d’emblée une œuvre complexe dans sa structure et ses équilibres, plutôt que tel détail. Mais dans quel but? En fait, il s’agit de déchiffrer —en proposant à une discussion— la piste méthodolo­gique et herméneutique  de notre auteur, sous-jacente aux notions “personne” et “liberté”, à sa vision de l’être de l’étant en tant que communion. En effet, l’enjeu véritable de son œuvre —nous le croyons forte­ment— est déterminée par une herméneutique spécifique (plutôt que par une thématique  par ailleurs commune) ; une herméneutique qui revêt à nos yeux —pour la théologie ecclé­siale et peut-être tout simplement pour l’ontologie— une importance décisive. Pour notre auteur l’herméneutique  correspond à une articulation à partir de la personne entre la vérité, l’être et l’histoire en Christ. La méthodologie est celle via personæ (irréductible à la via naturæ) dans l’eucharistie.

Notre travail —qui procède de façon circulaire suivant le mouvement de l’œuvre de J. Zizioulas— est structuré en trois parties qui font suite à un chapitre préliminaire sur l’homme et l’œuvre. Celles-ci pourraient corres­pondre aux trois moments suivants: le moment herméneutique ou les prolégo­mènes méthodologiques à la dogmatique (1ère Partie), le moment systématique de la dogmatique (2e Partie) et finalement le moment d’un discernement critique comme épilégomènes à la dogmatique (3eme Partie). Dans notre thèse, les deux premières parties doivent être considérées en interdépendance stricte (de manière circulaire). Par contre, la troisième partie ne concerne l’œuvre de notre auteur qu’indirectement (par les éclaircisse­ments supplémentaires qu’elle apporte au lec­teur).

Nous devons avouer —avant de faire une description sommaire des parties de la thèse— que notre démarche est fondée sur le principe herméneutique de « la prio­rité des présupposés méthodologiques sur les thèses con­crètes ». C’est un principe de notre auteur lui-même. Nous nous sommes donc posés d’emblée en théologie la question des présupposés herméneutiques de l’être de l’étant —comme de sa vérité— dans l’optique de la Tradition orthodoxe de l’Eglise et celà suivant J. Zizioulas. Nous nous sommes interrogés constamment sur le type de ces présupposés herméneu­tiques;  ... non à partir de nos a priori mais à partir du mode de fonctionne­ment concret de la “personne” et de sa “liberté” —qui, avec la “communion” sont les notions clés— de l’œuvre du métropolite.

Dès lors, il a été question pour nous, d’un déchiffrement de la structure interne d’une œuvre dispersée dans quelques livres et de nombreuses publications. Une telle exploration a été menée avec une double hypothèse de travail, aujourd’hui pleinement confirmée. A savoir que la cohérence de l’œuvre de J. Zizioulas dé­pend de la juste compréhension de ces catégories [à partir de l’expérience eucharistique] de base ; et cela non à l’aide de n’importe quelle démarche herméneutique mais à partir d’une structure hermé­neutique et d’une méthodologie précises. Nous nous sommes donc constamment battus avec des questions telles que : “que veut dire exactement pour notre auteur être personne”, “quel type de liberté implique-t-elle”, et tout d’abord à quel type d’ontologie  fait-elle référence? Comment l’expression “être comme commu­nion”, concernant l’être de l’étant, doit-elle être entendue ? Et dans quelle optique  et à partir de quel “lieu” herméneutiques ? De quel type d’ontologie s’agit-il ?

C’est pourquoi la première partie de notre thèse est consacrée aux coordonnées herméneutiques et épistémologiques de notre auteur dans le cadre de ce qu’on appelle l’hellénisme chrétien. Nous traitons ici la lecture de la rencontre conflictuelle entre l’hellénisme et le christianisme du point de vue spécifiquement chrétien selon notre auteur: à savoir l’identification entre le Christ et la Vérité (Jn 14, 6). Qu’est-ce qu’implique une articulation extatique, ouverte —et non repliée sur elle-même— entre la Vérité, l’être (de l’étant) et l’histoire? Et comment une telle articu­lation non-totalisante est-elle possible? Selon notre auteur, l’axe de cette articula­tion est la Personne-même du Christ Ressuscité ; et le “lieu” épistémologique est Son expérience lors de l’eucharistie; l’expérience eucharistique de notre commu­nion à sa Personne comme dépassement de notre corruptibilité naturelle, dans la participation paradoxale à son incorruptibilité naturelle. C’est pourquoi la lecture de l’histoire, effectuée par notre auteur, est communionnelle et iconique en tant qu’elle se situe en Christ, Voie, Vérité et Vie à partir du “site eucharistique de la théologie”. C’est cela que notre première partie entend offrir au lecteur: penser le problème herméneutique de l’identification entre le Christ et la Vérité en réfléchissant sur les différents types de cette identification. C’est pourquoi nous considérons cette partie comme étant la base de notre thèse.

Dans le cadre du conflit “hellénisme-christianisme”, au chapitre 2, nous explorons en particu­lier, la problématique concernant la “personne” dans l’antiquité greco-romaine (“polis” grecque et “societas” romaine); la “personne” comme masque (et non comme hypostase) de l’être humain, et sa liberté (ontologiquement suspendue et inhibée). Nous la traitons à partir du conflit entre deux Weltanschauungen (hellénisme/bible + christianisme) eu égard précisément au contenu ontologique de la liberté de la personne. Une telle question —et sa réponse— ne se compren­nent qu’à partir de la transcendance du Dieu biblique ontologiquement libre, qui s’offre librement en Christ, pour nous. La thématisation de cette opposition des Weltanschauungen hellénique et chrétienne est illustrée par notre auteur —à la suite de la patristique grecque et à partir de l’expérience eucharistique de l’Eglise— dans la “dis-jonction absolue” (απόλυτος διάζευξις) “créé/incréé”. Dans le même cadre nous explorons à travers la catégorie ontologique —et non symbolique— de l’image-icône (εικών), l’approche eucharistique de la Vérité —qui est le Christ. Cette image-icone est prise ici dans un sens apocalyptique —insiste J. Zizioulas— et non platonicien. Il s’agit d’une question immense qui mérite, à nos yeux, une autre thèse ...

La seconde partie de notre travail se termine avec le chapitre 3 qui reprend la même opposition “hellénisme-christianisme” du point de vue de l’hellénisme chrétien dans le domaine de son épistémologie propre, à l’aide de sa catégorie d’hypostase-personnelle de l’être : la connaissance, identification et participation, “en/dans” l’hypostase-personnelle (γνώσις εν προσώπω).

C’est à l’aide de ce déchiffrement herméneutique —à savoir de l’articulation [enhypostatique et iconique] en Christ entre Vérité, être et histoire— que nous avons relu (à plu­sieurs reprises !) et redigé la deuxième partie de notre travail ; partie consacrée à une dogmatique ecclésiale comme “théologie enracinée dans la personne et le mystère de communion”. Cette partie contient trois chapitres qui en fait n’en re­présentent que deux : la « Théologie » (Θεολογία) —chapitre 4— et l’ « Economie » (Οικονομία) —chapitres 5 et 6. L’ensemble, inutile de le répéter, a sa cohérence à partir de la liberté agapétique de la personne en tant qu’être comme communion person­nelle.

La “Théologie” —dans le chapitre 4— parle de l’être personnellement trinitaire de Dieu, en Lui-même (c’est-à-dire dans le Père), compte tenu de son être personnellement trinitaire en Nous (c’est-à-dire en Christ, dans l’Esprit). C’est pourquoi il s’intitule “la liberté du Père et l’être-vie de Dieu”. Nous sommes ici aux sources de l’ontologie de la personne (ou plus précisément, de l’hypostase-personnelle).

Les chapitres 5 et 6 traitent l’ “Economie” du créé comme sauvé (c’est-à-dire dans son ouverture à la Théologie). Elles la traitent sous deux angles : du point de vue “protologique” (en Adam) et du point de vue escha­tologique (en Dernier Adam, le Christ). D’où nos titres respectifs : “la liberté de l’Adam et l’être-néant du créé” (chap. 5) ; “la liberté du Christ, Dernier Adam, et l’être-vie du créé” (chap. 6). Or, ces deux angles ne sont ni corrélatifs, ni complémentaires. Le point de vue historiquement “protologique” de l’être créé (en Adam) est déchiffré à partir du point de vue historiquement escha­tologique et ontologiquement ultime de sa recréation en Christ, Dernier Adam.

Le chapitre 5 traite la “ktisiologie” (κτίσις, κτισιολογία), le créé comme créature (le monde comme “ktisis”, créée à partir du néant). Il la traite en conjonction stricte avec l’anthropologie. La notion para­doxale du néant, ontologiquement absolu, —c’est-à-dire sans aucun rapport à l’être— est un des point capitaux concernant la “ktisiologie” de J. Zizioulas. A cette vision paradoxale du néant fait pendant la notion, également paradoxale, de la liberté personnelle d’Adam, paradoxe de l’ “être créature”. Le sens paradoxal, aussi bien du “néant” du créé que de la liberté d’Adam, découle en conséquence de la disjonction absolue “créé/incréé” telle qu’elle est vécue dans l’eucharistie. De même que pour l’être créé, le néant lui est “naturel” —lui appartient selon sa nature créée, de même la liberté —en Adam— lui est “gracieuse” (selon la grâce de l’incréé). Elle lui est donnée selon la personne du Fils éternel en vue de la personne incarnée du Fils éternel, le Christ.

C’est ce que nous contemplons dans la lecture eschatologique de l’Economie du créé comme sauvé en Christ, Dernier Adam, tout au long de notre chapitre 6. Ici nous avons le développement d’une christologie constitutivement conditionnée par la pneu­matologie dans ses implications ecclésiologiques et sotériologiques. Et cela compte tenu de la dialectique “histoire-eschatologie”, du “déjà là” et du “pas encore”. Une telle dialectique est fondée, en ecclésiologie —à l’aide de la notion christo-apocalyptique de l’icône— à partir de la personne incréée du Christ, comme communion paradoxale (déjà là et pas encore), dans l’eucharistie. C’est cette vi­sion de la personne —comme hypostase iconique de l’être de l’étant— qui as­sure la possibilité d’affirmer avec cohérence —en sotériologie— le paradoxe du “déjà-là” de l’accomplissement eschatologique du salut en Christ dans l’histoire, et le “pas-encore” de la Parousie.

Les résultats de la troisième partie (chapitre 7) ont confirmé notre hypothèse de travail et, en même temps un soup­çon: à savoir que —dans sa contestation ou son acceptation, au sein comme en dehors de la théologie orthodoxe— l’œuvre de notre auteur est, très souvent partielle­ment lue, et donc, à notre avis, source de malentendus.

Ceci exige quelques élucidations qui, rappelant l’optique générale de notre auteur, situent mieux quelques-uns de ces malentendus.

1) L’Hellénisme chrétien est une catégorie forgée d’abord par G. Florovsky, le maître de J. Zizioulas, et reprise par ce dernier la christianisation complète de l’hellénisme dans la Tradition ecclésiale des sept Conciles œcuméniques de l’Eglise ‘indivise’ et des Pères grecs —en particulier, mais non pas exclusivement. Il s’agit d’une catégorie complexe —à la fois théologique, ontologique et sotériologique— pour distinguer l’hellénisme de ladite Tradition de l’“autre hellénisme”. Tout d’abord de l’hellénisme païen. Ensuite, non seulement de ce qu’A. Harnack appelle l’hellénisation radicale du christianisme (gnose) mais également de toute forme d’hellénisme pas complétement christianisé (en regard de la théologie, de la sotériologie et de l’ontologie). Nous comprenons ainsi que le terme “hellénisme” n’est pas sim­plement une catégorie historico-culturelle; il désigne une manière de poser exis­tentiellement et intellectuellement la question de notre participation à l’être de Dieu (à sa vérité et à notre salut) en impliquant une vision de l’ensemble de la réalité; une vision globale, à la fois de l’être de Dieu, du monde et de son salut. Ce que nous appelons une “vision du monde” dans le sens le plus large du terme.

2) Le second point à relever est que, dans la perspective du métropolite de Pergame, le lieu du discernement des “visions du monde” est l’expérience eucha­ristique —de l’être, de Dieu et du salut— dans la communion à la personne du Ressuscité. C’est à partir de ce “lieu” que l‘hellénisme et le christianisme, l’hellénisme chrétien et les autres hellénismes, se trouvent op­posés. Cette opposition qui se dit d’abord dans le “créé/incréé” comme disjonction on­tologiquement absolue, ne peut être comprise et justifiée qu’à partir de notre expérience eucharistique du créé corruptible comme re-créé et vivant en Christ Ressuscité. C’est ainsi que le couple “Créé/Incréé” fait référence à une ontologie autre en dehors de l’être de l’étant ; non pas à une distance au sein de l’être de l’étant  (une distance infinie à parcourir). “Créé/incréé” comme disjonction ontologiquement absolue n’a rien à voir avec la “différence ontologique” être/étants. Nous connaissons Dieu car nous sommes d’abord connus par Lui (en Christ). L’absoluité ontologique de la disjonction “créé/incréé” veut sauvegarder l’inconvertibilité absolue de cette proposition à travers une ontologie libre de la gnoséologie. D’où l’opposition entre l’ “ontologie close” (de tout hellénisme, plus ou moins païen, c’est-à-dire non-christique) et l’ “ontologie extatique” de l’hellénisme chrétien.

Dans la même ligne, et à partir de cette expérience eucharistique, J. Zizioulas dé­chiffre la même opposition hellénisme-christianisme entre l’iconologie platonicienne et l’iconologie apoca­lyptique. L’icône —dans le cadre de la participation ontologique— se réfère non à la nature mais à l’hypostase personnelle de l’être de l’étant; non à l’archéologique, l’avant-des-temps mais à l’eschatologique, l’après l’histoire. Une telle iconologie apocalyptique (mieux mystérique) n’a son origine et son sens qu’à partir de l’hypostase-personnelle, incréée et eschatologique, du Christ Ressuscité telle qu’elle est vécue et expérimentée dans l’eucharistie ecclésiale.

3) Dans l’œuvre de J. Zizioulas, le sens ontologiquement absolu de la disjonction “créé/incréé” et le sens apocalyptique de l’iconologie ontologique, nous semblent réunis. Il en va de même pour le sens ontologiquement absolu du néant  et de la liberté es­chatologiquement agapétique. La liberté en question n’est nullement “méta-logique” (au-delà de l’opposition “liberté/nécessité”), mais proprement incréée et “méta-historique”. Il s’agit d’une liberté de communion, d’une li­berté identique à l’amour de l’Autre dans l’autrui.

Konstantinos Agoras






Επικοινωνία

Επικοινωνία
konstag@yahoo.gr

Translate

Αναγνώστες

Δημοφιλείς αναρτήσεις από αυτό το ιστολόγιο

Ο Χριστός, οι Εκκλησίες και η Αλήθεια

Θ. μετάληψη και κορωνοιός: η σημασία της ευχαριστιολογίας

Προσδοκώ ανάσταση νεκρών