Le ministère de l'épiskopè dans le mystère de l'Église




Session oecuménique à Viviers

(4 - 7 mai 2004)
Le ministère de l'épiskopè dans le mystère de l'Église
en vue de la plénitude du Royaume
Dr. Konstantinos Agoras
Parler du point de vue orthodoxe dans un contexte œcuménique sur le ministère de l'épiskopè dans nos Eglises, sur son essence et sa signification, est une tâche non aisée pour quelqu’un qui ne se considère pas comme un spécialiste en matière d'ecclésiologie. Aussi je voudrais n’exprimer ici que quelques modestes réflexions sur cette question, précédées d’une introduction sur mes présupposés herméneutiques. Je dois donc m’interroger au préalable sur le contenu de l’expression un point de vue orthodoxe (1) avant d’aborder le mystère de l’Eglise dans l’écono­mie trinitaire (2), contexte immédiat de notre sujet, à savoir du ministère de l’épiskopè dans le Mystère de l’Eglise (3). Enfin je me permettrai de conclure avec quelques modestes propos sur les retombées existentielles de l’approche exposée en rapport avec notre vocation œcuménique commune (4).
1. approche orthodoxe et catholicité ecclésiale
Quel est le contenu de l’expression un point de vue orthodoxe ? C’est me semble-t-il en rapport à la "catholicité orthodoxe", terme qui fait référence à la Tradition de la grande Eglise du premier millénaire, celle de l’ « Eglise indivise », apostolique et conciliaire notamment, matrice et mesure commune pour nous tous[i]. Ainsi que le terme l’indique, la "catholicité orthodoxe" est distincte de la "catholicité romaine" laquelle représente une manière différe­nte de vivre et de penser la catholicité, le « mode d’être », de l’Eglise. Evidemment, je n’aborderai pas ici la question, fondamentale à plus d’un titre, de la compatibilité éventuelle de ces deux « modes » (tropoi) de « catholicité » ecclésiale –  de son degré et de ses présupposés.
L’approche orthodoxe, faisant référence à l’« Eglise indivise », nous oblige à un dialogue complexe, non seulement synchronique mais aussi diachronique : dialogue ad intra (parmi les orthodoxes) et simultanément ad extra avec chacune des confessions chrétiennes d’aujourd’hui (catholique, protestantes, anglicane etc.). Et ce, non pas directement (en face-à-face), mais par le biais de l’Eglise patristique et conciliaire du premier millénaire, notre matrice et mesure commune. De ce fait, en œcuménisme, lors d’un face-à-face avec les autres dénominations chrétiennes, l’orthodoxie ne veut pas témoigner d’elle-même (de manière confessionnelle) mais bien plutôt de la foi de l’Eglise « indivise » —à travers certes sa manière spécifique (orthodoxe) de vivre et de penser la « catholicité » ecclésiale— par rapport à laquelle elle se mesure et doit se mesurer constamment, elle d’abord, avant les autres. Pour illustrer cela je reprends ici les paroles de Jean Zizioulas, métropolite de Pergame et œcuméniste orthodoxe de renommé internationale, dont je partage entièrement  la vision :
 « Chaque fois que sur un sujet je dois parler  du "point de vue orthodoxe" je me trouve en grande difficulté. Qu’est-ce que le "point de vue orthodoxe" ? Comment le déterminer ? Sur quelles bases et à partir de quelles sources ? Les orthodoxes n’ont pas de Vatican II où puiser. Ils n’ont pas leur Confession d’Augsbourg et ils manquent de l’équivalent d’un Luther ou d’un Calvin pour leur donner leur identité confessionnelle. Les seules sources qu’ils possèdent en fait d’autorité leur sont communes avec le reste des chrétiens : la Bible et les Pères. Comment peut-on déterminer une position qui soit spécifiquement orthodoxe sur la base de ce qui est commun avec les non orthodoxes ?
Il semble que le point de vue spécifiquement orthodoxe —je continue la citation— n’est pas quelque chose que l’on puise à des sources spéciales, mais tient à l’interprétation des sources qu’ils partagent avec le reste des chrétiens. Les orthodoxes diffèrent des catholiques romains et des protestants en ce qu’ils abordent des sujets comme celui de l’Eglise sous un angle qui est typiquement caractéristique de leur mentalité. Ils ont leurs propres présupposés théologiques qui suggèrent aussi une certaine problématique et une certaine méthode qui ne sont pas toujours familières aux non orthodoxes ». Et l’auteur, de conclure en ces termes : « Quand, à l’intérieur du débat œcuménique, on en vient au dialogue entre orthodoxes et non orthodoxes la chose importante est toujours les présupposés théologiques et non les thèses concrètes »[ii]
Dans une perspective orthodoxe, traiter du ministère de l’épiskopè dans l’Eglise nous oblige à aller au-delà de la simple « ecclésiologie » au sens technique du terme (un des chapitres ou sous divisions traditionnels de la dogmatique) et à orienter notre regard sur le mystère même de l’Eglise dans sa profondeur. Du point de vue de la catholicité orthodoxe,  le ministère de l'épiskopè doit être abordé dans le mystère de l'Eglise et à partir de ce mystère. Mais, à son tour, le mystère de l’Eglise ne pourrait être déchiffré que dans la profondeur infinie de l’économie divine —économie trinitaire pour être plus précis— et à partir de ce grand mystère de notre salut dans son ensemble : de la création des créatures créées à partir du néant … jusqu’à leur accomplissement ultime dans la résurrection au Royaume de Dieu, le but ultime (eschaton) de toute créature selon la visée (skopos) de leur Créateur incréé. Pour la conscience orthodoxe donc, le ministère de l’épiskopè dans son essence se trouve en rapport étroit et indissociable avec le mystère même du salut, l’économie de Dieu pour nous dans son ensemble. Telle affirmation peut sembler paradoxale à première vue.
Comme tout ministère ecclésial le ministère de l’épiskopè ne s'origine et ne renvoie (ou plutôt ne pourrait que renvoyer) nulle part ailleurs qu'à l'être même de l'Eglise, à son identité la plus profonde, au mystère du salut au sens large du terme, à l’ensemble de l’économie trinitaire. Dans ce mystère trinitaire de l’économie en Christ « pneumatique » —et à partir de ce mystère— le "ministère" ecclésial de l’épiskopè et le "mystère" eucharistique de l'Eglise constituent, comme nous le verrons, des réalités indissociables. Cela fait que l’essence même —et donc la justification théologique du ministère de l’épiskopè— n’est que sotériologique. Car tout ministère et tout charisme ecclésial dans l’histoire n’existe véritablement, dans son essence profonde et sa raison d’être au sens fort du terme, qu’en fonction du mystère même de l’Eglise : et ce —du point de vue orthodoxe— dans une perspective eschatologique, « typologique » (typos, eikon de l’eschaton, l’ultime).
Afin de discerner comment ce ministère de l’épiskopè se réfère à la profondeur ultime du mystère du salut au sens le plus large du terme, à la récapitulation de toute chose en Christ ressuscité lors de sa Parousie, je me permettrai de rappeler ici quelques points essentiels sur le sens de ce mystère qui constitue l’identité profonde et souvent occultée… de l’Eglise.
2. économie trinitaire et mystère ecclésial
a. L'Église est une réalité qui tire son origine de Dieu lui-même, ne l'oublions pas. Car elle découle de la volonté la plus profonde, la plus intime du Père —laquelle est commune aux deux autres personnes de la Sainte Trinité— et se réalise au sein de l'économie de Dieu en Christ qui se fonde, elle aussi, sur les trois personnes de la Sainte Trinité en tant justement qu'économie trinitaire. Suivant cette approche onto-sotériologique résolument christique de l'économie — qui reflète celle de la théologie, approche chère aux Pères grecs notamment[iii]— nous ne pourrions jamais traiter de l'être véritable de l'Église sans nous référer à Dieu dont l'existence est trinitaire : à ce Dieu biblique —le Père du Christ (et le nôtre en Christ) dans l'Esprit— dont l'identité propre, trinitaire, subsistant éternellement selon sa nature, se révèle à nous dans l'histoire selon sa grâce. De façon générale, dès lors qu'il est question d'économie trinitaire, tout tire son origine du Père et tout s'en retourne pour finir au Père. Au sein de Dieu trinitaire, celui qui donne origine à tout et qui en exprime le désir, c'est le Père. Et le Père "a voulu" l'Église[iv].
C’est le Père qui "de toute éternité" a voulu, ou plutôt veut constamment, unir le "créé" avec l' "incréé", c'est-à-dire avec Lui-même, le Créateur unique en personne  de "tous les mondes visibles et invisibles", créés uniques précisément dans son Fils unique et selon sa grâce : unir donc en Lui-même sa Création, créée en dehors de lui-même (dans le néant) et située face à lui-même (comme autre que Lui) selon sa propre nature, la nature créée. Par conséquent, l'initiative personnelle pour que l'Église soit —et ce en tant que le lieu et le sacrement dans l'histoire de cette union du créé à l'incréé— est bien l'initiative du Père, du Père trinitaire. Cette perspective foncièrement "trinitaire" de l’ "être Dieu", de la divinité si l’on veut de Dieu, implique que le Fils et l'Esprit contribuent personnellement, chacun de façon propre et in solidum (en communion avec) le Père, à la réalisation du Dessein paternel. Comme en théologie (dans l’existence de Dieu en Lui-même, en amont de ses œuvres), la perspective de l'économie de Dieu (dans son Dessein prééternel et la réalisation de celui-ci dans le temps) est foncièrement trinitaire ; mais en rappelant cela il ne faut jamais perdre de vue cette subtile distinction quant à l'initiative et à la fin du Dessein trinitaire de Dieu : initiative (comme fondement) et fin (comme but ultime) qui relèvent, personnellement et in solidum, du désir et de l'action de l'unique Père, du Père du Christ "en personne".
Pour ce qui est du Fils, sa contribution propre consiste en ceci : en premier lieu consentir librement à la volonté propre de l'unique Père, à ce désir personnel d'incorporation du créé et, secondement, devenir le foyer, le centre à partir duquel pourra se réaliser cette union du créé au Père, cette incorporation "sans séparation ni confusion" du créé avec l'incréé[v]. Ainsi l'être même, la stabilité éternelle et le sens ultime de la Création ne dépendent en dernier ressort que du recours au Père : mais cela dans le Fils, l'unique, en Esprit.
L'Esprit Saint contribue lui aussi personnellement à la réalisation du désir prééternel du Père : rendre possible cette incorporation de la Création dans le Fils en offrant par sa présence la possibilité au créé d'être ontologiquement ouvert, de s'ouvrir à l’incréé de Dieu de telle sorte que son incor­poration dans le Fils puisse devenir effective. Car la Création, créée à partir du néant et en dehors de Dieu, ne peut pas à elle seule (selon sa nature) s'unir avec le Dieu incréé, s'incorporer à Lui ; et ce à cause de la limitation naturelle propre à toute nature créée, comme telle, et non pas, soit dit en passant, à cause de la seule chute (laquelle s'oppose à Dieu en interdisant l'incorporation)[vi]. Bref, l'Esprit Saint, l'unique Esprit (du Père) collabore ainsi avec le Fils unique (du Père) afin que l'union de la Création au Père unique devienne possible, afin que le créé s'incorpore en Esprit dans le Fils (et non dans l'Esprit) au Père[vii]. Par conséquent, le Saint-Esprit n'est pas celui "en qui" la Création s'unit, s'incorpore à Dieu (ni par ailleurs le Père). Cela revient en particulier au Fils unique qui, bien entendu, n'agit jamais sans la présence du Père et de l'Esprit Saint. Selon sa particularité personnelle en son être incréé, l'agir du Fils n'est pas indépendant mais en communion avec l’agir des autres personnes trinitaires (ce qui par ailleurs est valable pour chacune des personnes de Dieu incréé en sa particularité hypostatique, personnelle-trinitaire). Il nous faut bien faire attention me semble-t-il à ne jamais perdre de vue ce sens relationnel-trinitaire des personnes ; des "personnes" proprement dites et incréées en Dieu.
L'Église —et le ministère de son épiskopè— s'inscrit à l'intérieur de ce plan personnel-trinitaire de Dieu d'après lequel le Père est celui qui veut, le Fils celui qui offre sa personne, qui s'offre "en personne", pour incorporer la Création et la mettre ainsi en relation avec Dieu le Père, et l'Esprit celui qui libère la Création des frontières et des limitations naturelles du créé en tant que tel. Cette ouverture infinie et cette incorporation "sans séparation ni confusion" du créé à l'incréé deviennent possibles en Christ, au sein de l'Église, en ayant pour centre le Fils unique du Père, incarné dans l'Esprit[viii]. C'est pour cette raison que l'Église —"Temple" de l'Esprit et "Maison" du Père— est dite justement "Corps" du Christ (et non pas du Père ou de l'Esprit).
b. Le bon vouloir du Père consiste en ce que le monde entier, y compris le monde ma­tériel, tous les mondes deviennent Église dans le Fils en tant que Corps du Christ (« tous » : pas seulement les êtres humains ni, encore moins, seulement une certaine catégorie d'hommes, les "croyants"). Suite à l'échec de la vocation humaine en Adam (chute adamique) cette incorporation du monde dans le Fils passe impérativement par la Croix, tout en ne s'arrêtant pas à la Croix. Elle passe par cette profonde expérience du mal qui ébranle tout homme qui la fait sienne (dans l’ascèse), sans s'y arrêter. Cet être christoconforme qu'est l'homme eucharistique, l’être ecclésial, participe à la Croix christique et à sa traversée selon le bon vouloir du Père, passe par la porte étroite, mais justement pour accéder au Royaume eschatique. Il n'y passe réellement qu'en communion avec les autres, ses frères, c'est-à-dire « en Église ». C'est ainsi que l'Eglise-Corps du Christ, ne s'arrête pas devant la Croix ni devant la porte étroite de l’ascèse. En tant que Temple de l'Esprit, l'Eglise poursuit son chemin jusqu'au Royaume, la Maison du Père, où elle trouve sa totalité et sa réalisation plénière : le Corps ressuscité du Christ dans son intégralité.
Grâce à son fondement trinitaire, incréé (selon son origine) et eschatologique (selon son but), l'Église de Dieu, en tant que communauté —sacrement paradoxal de la Résurrection christique dans l’histoire et icône du Royaume à venir dans l'eucharistie— est constituée par ce sacrement eucharistique dans la mesure de sa transparence à l'ultime en Christ : transparence "pneumatique" au Dieu incréé et au Royaume eschatologique de Dieu à la fois[ix]
c. Dans ce contexte du mystère de l'Eglise au sein de l'économie trinitaire je me permets d'attirer l'attention sur un point qui me semble essentiel pour la catholicité orthodoxe : sur le sens du terme "pneumatique", sur le lien indissociable entre pneumatologie et eschatologie en économie. Le Saint Esprit, la personne "en qui" toute réalisation "pneumatique" a lieu dans l'histoire, ne nous renvoie pas finalement au passé de l'histoire mais à l'eschaton de l'histoire, à l'accomplissement christique dans le Royaume de Dieu (d'où Il vient), au fondement véritable de l'économie. L'Esprit nous est donné par le Christ comme Don du Père (d'où Il procède), don du Donateur, de Celui qui est le Premier et le Dernier en théologie et en économie. Dans la liberté "paternelle", le mouvement de l'Esprit Saint au sein de l'histoire est un mouvement à rebours : un mouvement du futur vers le présent, pour que tout le passé de l'histoire soit finalement éclairé et restitué comme "typos", figure, icône du futur à venir. Si l'on devait parler de la grâce de Dieu dans l'Esprit —de la grâce eschatique (c'est-à-dire selon l'eschaton) de communion au sein de l'histoire— en termes de "puissance", il faudrait immédiatement préciser que cette "puissance" n'opère pas selon le contexte de "ce monde-ci" (selon le principe de la causalité et de la nécessité de la nature, où l’effet suit nécessairement sa cause historique), mais bien plutôt dans le contexte paradoxal d'une causalité renversée, d’une cause (l’Esprit, le Royaume) qui vient après l’effet (la grâce), d'une causalité eschatique de liberté.
Il en est de même pour le sens "pneumatique", épiclétique, de l'anamnèse, de la tradition et du fondement de l'histoire dans l'Eglise : il s'agit d'une "anamnèse du futur", donc paradoxale, d'une mémoire à partir de l'ultime eschatologique, d’une mémoire dont la cause ne se situe pas dans le passé (mémoire psychologique) mais dans le futur (mémoire "pneumatique"), dans la récapitulation christique lors de la Parousie qui constitue le fondement transcendant de l'économie selon le bon vouloir (evdokia) du Père[x].
3. mystère ecclésial et ministère de l’épiskopè
Au sein de cette approche trinitaire de l'économie de Dieu et de l'Église dans l'histoire —approche "selon le Christ" et non pas selon "ce monde-ci", approche à la fois christique (en Christ), pneumatique (dans l'Esprit) et eschatique (vers le Père et à partir du Père)— le ministère spécifique de l'épiskopè nous révèle son sens ecclésial le plus profond.
J'ai déjà fait allusion à la perspective eschatologique, « typologique » de l'Eglise et partant de l'économie elle-même selon la conscience orthodoxe. Comme l'Eglise dans son essence n'est finalement que typos et eikon de l’ultime à venir (eschaton), à savoir de la récapitulation eschatologique de toute chose en Christ ressuscité pour être offerte au Père dans le Royaume de Dieu, de même celui qui assume le ministère de l’épiskopè, à savoir l’épiskopos (évêque), n’est dans son essence que typos et eikon de l’ultime à venir (eschaton), à savoir du Christ récapitulant en lui toutes choses pour qu’elles soient  offertes au Père dans le Royaume. Cela fait que l'essence de ce ministère et de celui qui l’exerce, réside en dernière instance dans la récapitulation et l'offrande au Père de sa communauté rassemblée (ekklésia), solidaire de toute autre communauté dans l'espace et le temps, lors de la célébration eucharistique. Faudrait-il rappeler encore une fois que cette Divine Liturgie constitue pour les orthodoxes la récapitulation de l'ensemble de l'économie trinitaire dans une mémoire paradoxale : pas tellement du passé (qui a eu lieu) mais surtout du futur attendu (qui n’a pas encore eu lieu) : l'anamnèse épiclétique du Royaume à venir.
A ce sujet il faut attirer votre attention sur la spécificité de la Divine Liturgie orthodoxe : il est bien connu que pour la conscience orthodoxe l’acte constitutif de l’ecclésialité de l’Eglise réside dans chaque célébration eucharistique de l’Eglise concrète, locale, rassemblée en un seul lieu (epi tô autô) ; plus exactement de l’ensemble de la communauté avec tous ses ministères et charismes autour du président de l’Eucharistie, l’épiskopos (la question complexe des paroisses sera mentionnée par la suite). Lors de chaque célébration eucharistique c’est l’événement même de la Pentecôte qui a lieu, ici et maintenant. Or il ne faudrait pas oublier que lors de la Divine Liturgie (et l’anamnèse paradoxale, épiclétique, du futur à venir) l’Eglise se trouve non pas  simplement face au Royaume mais à la fois dans le Royaume et face au Royaume. Celui qui préside et qui offre la communauté au Père, l’évêque, ne se trouve pas simplement face au Christ mais à la fois en Christ et face au Christ. Bref, dans l’Eglise (et notamment lors de la Liturgie), nous les croyants nous ne nous trouvons pas simplement face à Dieu mais simultanément en Dieu et face à Dieu. Notre histoire n’est pas simplement située face à l’eschaton mais dans l’eschaton même et face à l’eschaton. L’histoire n’est ni pulvérisée (engloutie dans l’eschaton), ni non plus laissée à elle seule (face à l’eschaton). Elle est transfigurée de l’intérieur, elle est pneumatiquement ouverte de l’intérieur, de manière dynamique, non statique, pour reprendre à nouveaux frais sa marche vers le Royaume.
C’est cela qui nous permet de bien comprendre l’iconicité de l’Eglise (icône du Royaume), de l’évêque (icône du Christ). Et de la catholi­cité de la communauté locale : l’évêque, entouré des presbytres et des fidèles dans l’Eglise (communauté locale), consti­tue pneuma­tiquement —dans l’action personnelle de l’Esprit des Derniers Jours, c’est ici le point crucial— l’icône véritable du Christ, entouré des Apôtres et de la multitude dans le Royaume de Dieu (de l’Apocalypse). L’icône et le typos véritable (par relation pneu­ma­tique) de ce qui doit venir : ni donc le symbole (par imita­tion mo­ra­le), ni encore moins l’idole (par substitution blasphéma­trice) en réfé­rence au passé …
La catholicité de l’Eglise et de son ministère d’épiskopè se réalise, réellement bien que paradoxalement (sacramentellement), dans l'offrande « pneumatique » par l'évêque au Père, in persona Christi, de toute l’Eglise (locale) en communion avec toute Eglise autre dans l'espace et dans le temps, et l'ensemble du Créé pour qu'ils vivent éternellement[xi] D’où la catholicité eucharistique, typologique et iconique, du ministère de l’évêque, du ministère de son épiskopè ecclésiale. Episkopè qui dans son essence profonde et sa spécificité sotériologique dépasse infiniment toute gérance ou surintendance sociologique et historique, épiskopè « pneumatique » d’une offrande eucharistique, eschatologique dans l’histoire … pour la vie du monde.
Pour la conscience orthodoxe il ne s'agit pas ici d'une approche idéaliste des choses sub speciae aeternitatis —qui ferait abstraction des réalités concrètes et autres dans l'histoire et le changement— mais bien plutôt d'une approche typologique, iconique sub speciae venturi saeculi, sub speciae Regni Dei: d'une approche concrète, effectuée non pas du point de vue actuel et descriptif (dans la vision) mais du point de vue de ce qui sera à la fin, de l'attendu (dans la foi) : de l'eschatique en Christ, tel qu'il se révèle dans la Divine Liturgie et qu'il se donne à nous dans l'Eucharistie[xii].
Cela étant j’aimerais mentionner ici quelques éléments particuliers du ministère de l’épiskopè que les spécialistes en ecclésiologie pourraient éventuellement développer :
La catholicité du ministère de l’épiskopè implique que celui qui l’exerce ne peut le faire que dans la communion avec les autres : avec les autres ministères et charismes dans sa communauté, avec les autres communautés dans le temps et l’espace et avec le monde entier ; et ce à partir de la catholicité christique de la récapitulation de toute chose dans le Royaume de Dieu, afin de nous révéler et de nous rendre participants de ce grand mystère[xiii].
Dans la perspective de communion aux autres et avec les autres qui est celle de la vie même de Dieu, un et multiple à la fois (à partir du Père et dans sa communion avec le Fils et l’Esprit), le ministère spécifique de l’évêque (typos et icône du Christ, président de l’Eucharistie) manifeste et réalise la récapitulation eschatologique du tout au Ressuscité, également un et multiple (le Christ-Tête avec son Corps-Eglise). Expérimenté dans l’acte-Liturgie eucharistique, ce ministère de l'épiskopè révèle l’être « corporatif » du Christ, du Christ (ressuscité) absolument indissociable (dans l’Esprit-Saint, sans séparation, ni confusion) de son Corps (en attente de la résurrection) qui est l’Eglise (Corps du Christ).
En effet, lors de la Divine Liturgie (acte eschatologique dans l’histoire mais non pas acte historique comme tel), l'évêque, un et multiple à la fois, c‘est-à-dire solidaire des autres et en communion avec les autres, devient ce qu’il est selon sa vocation, l’icône du Christ (alter Christus dans l’Esprit-Saint, sans séparation, ni confusion) en offrant la communauté, toute communauté et la Création entière du Christ corporatif au Père. Gérant pour ainsi dire et présidant de manière eucharistique (non selon l’esprit de « ce monde » mais selon celui du « monde à venir », le Saint-Esprit) l’Eglise dont il a la charge, l’évêque révèle dans la Liturgie (et doit le faire avant et après la Liturgie dans la vie quotidienne, pour rester fidèle à soi-même) que sa communauté, toute communauté et le monde entier n’appartient qu’au Christ… qui en fait les offre au Père.
De ce point de vue, comme le pain, le vin, l’eau et les autres éléments de la Création constituent dans l’offrande (anafora) des réalités sacramentelles, eucharistiques (réalités de grâce), le ministère de l’épiskopè constitue pour les orthodoxes une réalité pareillement sacramentelle. Comme l'Eglise dans son essence profonde —dans son essence vocationelle et sa finali­té ­es­cha­tolo­gique— constitue la présence paradoxale, sacramentelle et iconique (une présence-dans-l’absence) du Royaume à chaque ici et maintenant, de même l'évêque constitue la présence paradoxale parmi nous du Christ dans son Royaume : révélation et réalisation paradoxale (déjà-et-pas encore) de la récapitulation de toute chose et de l’offrande au Père, à travers la croix christique, dans l’Eucharistie, vers la résurrection du Corps du Seigneur glorieux dans tous ses membres.
Le ministère de l'épiskopè est inconcevable sans celui des presbytres, sans les diacres et les charismes des laïcs. Dans ces ministères et charismes, interdépendants et solidaires les uns des autres, l’ensemble de la communauté autour de l’évêque constitue une harmonie parfaite : harmonie « pneumatique » de l’évêque avec les autres et simultanément des autres avec l’évêque dans le corps ecclésial du Christ : corps ecclésial du Christ fondé à partir du, et finalement identique au corps eucharistique du Seigneur de la gloire.
Il ne serait pas inutile de mentionner ici le paradoxe ontologique qui caractérise le rapport de communion entre le ministère de l’épiskopè et les autres ministères et charismes des baptisés et qui rappelle celui de la communion asymétrique (pneumatique) entre le Christ et l’Eglise dans l’histoire : comme le Christ précè­de ontologiquement son Corps, l’Eglise, tout en étant ­con­dition­né par l’existence de celle-ci (le Christ, réalité corporative, ne serait plus lui-même sans son Eglise), l'évêque précède les autres ministères (puisque c’est lui qui baptise et ordonne) tout en étant lui-même conditionné par l’existence des ces autres ministères au niveau ontologique (au niveau de son être en tant qu’évêque, et pas simplement au niveau éthique, au niveau de son bien être en tant que bon évêque).
Quant à la jonction indissociable, fondatrice, entre présidence de l’eucharistie (et par extension du baptême, des ordinations et des autres sacrements) et ministère de l’épiskopè  un problème émerge : pendant les tout premiers siècles de l’histoire de l’Eglise les presbytres ne présidaient pas l’eucharistie (ni par extension les autres sacrements) mais avec les diacres et le peuple ils entouraient l’évêque (presbyterium) dans la célébration ; la spécificité ministérielle des presbytres consistait alors dans l’enseignement. Or par la suite —avec l’apparition des paroisses vers la fin du IIIe siècle et le début du IVe— les choses changent : dans la paroisse ce sont les presbytres qui président l'eucharistie —cependant toujours comme extension du ministère épiscopal de présidence eucharistique (ce qu’exprime le fermentum en Occident et l’antimènsion en Orient)— tandis que les évêques gardent pour eux l’enseignement et les ordinations parmi les sacrements (avant de devenir des administrateurs des affaires ecclésiastiques pour l’essentiel)[xiv]. Quelles sont les retombées  ecclésiologiques de ce déplacement au regard, au moins 1) de la catholicité de l’Eglise concrète (locale ou désormais parois­siale ?) et simultanément de l’essence du ministère de l’épiskopè (eucharistique et catholique ou autre ?) Ce sont des questions qui continuent à faire couler beaucoup d’encre (et de larmes), chez les orthodoxes du moins[xv].
Par ailleurs, le ministère de l’épiskopè assure la continuité de témoignage des générations post-apostoliques (qui n’ont pas vu le Seigneur) avec les communautés apostoliques dans ce que ces dernières ont d'unique et d'"irremplaçable" (ayant vu le Seigneur) : une continuité de fidélité selon la foi des témoins  qui ont cru sans avoir vu avec ceux qui ayant vu ont cru[xvi].
Le ministère (et donc l’autorité qui en découle) de l'épiskopè ecclésiale de l’évêque (épiskopos) est relationnel, nous l’avons déjà mentionné : il manifeste en lui-même la coïncidence « pneu­matique » de l’un et du multiple, de l’unité et de la multiplicité (à l’image du Christ, à l’image de Dieu le Père) à l'intérieur de l’Eglise dont il a la charge (en communion avec les autres ministères et charismes) ; mais également à l’extérieur de son Eglise, in solidum (c’est-à-dire en communion) avec les autres Eglises dans l’espace et le temps. Ainsi autour de son évêque chaque Eglise coïncide sans se confondre —dans l’Esprit Saint (sans séparation, ni confusion) — avec toute autre Eglise (et tout autre évêque). C’est dans ce contexte pneumatique de communion d’Eglises (et d’évêques) que la question du rapport entre "primauté" (unité) et "synodalité" (multiplicité) se pose pour les orthodoxes[xvii].
4. retombées existentielles et vocation œcuménique
Selon la conscience orthodoxe, une vision christique du mystère de l'Église (le Corps du Christ) et de la vie en Christ (vie pneu­matique dite "spirituelle") est celle qui dans la lutte contre le mal, l'injustice, le désespoir et la mort même, pousse les hommes à s'approprier l'avant-goût du Royaume de Dieu ; et ce grâce à l'Eucharistie, à l'expérience de l'anticipation réelle, bien que paradoxale, de la Résurrection dans le Royaume. Expé­rien­ce sacramentelle par laquelle des communautés humaines deviennent "Eglises", c'est-à-dire icônes du monde à venir (eschaton), de la Création entière transfigurée dans l'humanité christique, celle du Christ ressuscité, lorsqu'elle aura ­définitive­ment surmonté la corruption.
Si du point de vue de l'histoire le mystère du Christ —sa mort, sa résurrection et sa glorification "à la droite du Père"— est inscrit au sein même de la temporalité du monde et au cœur même de notre histoire, du point de vue de l'eschaton (in patria) c'est le contraire qui apparaît comme vérité ultime du monde : la temporalité de la Création et l'histoire humaine sont inscrites au cœur même (et à partir) du Mystère du Christ. Une telle vision, typiquement orthodoxe, a des conséquences pour notre perception du temps en tant que mystère : le temps n'est plus vécu comme mesure naturelle, ni comme temporalité existentielle —contexte d'une odyssée de l'espèce humaine et de la nature cosmique vers la mort— mais comme mystère christique et contexte de l'histoire de chacune des personnes humaines vers la résurrection du Créé entier. Une telle approche eschatologique conditionne par ailleurs notre façon d'aborder les sacrements du Royaume et la vie en Christ de chacun en Église, l'organisation ministérielle et la communion des Églises, en chacune et entre-elles : d'où l'intérêt  pour notre question du ministère de l'épiskopè, nous l’avons vu, mais aussi pour notre vocation œcuménique commune.
L'œcuménisme constitue une véritable vocation eschatique des Églises dans l'histoire. Il nous faut bien témoigner de la communion déjà existante en Christ, réelle bien que paradoxale, de ces Églises du Christ qui ne sont pas encore en communion entre elles. Cependant, dès maintenant, elles pourraient se dire "Église d'Églises" (J.-M. Tillard) ; et ce à partir du Royaume de la Résurrection qui les transcende  et les conditionne (dans leur eucharistie), dans leur transparence commune —c'est-à-dire leur fi­dé­lité à ce Royaume.
Face à nos tentations séparatistes multiples, souvent historico-culturelles, il nous est impératif de réaffirmer in solidum, par nos choix, nos actions (et nos politiques) d'Eglises dans l'histoire (in via), la transcendance eschatique du Royaume de Dieu, "caché" en Christ au cœur du monde. Caché dans sa présence paradoxale mais réelle (une présence-dans-l'absence) parmi nous, ici et maintenant, et dans l'attente épiclétique de la présence-sans-absence du même Royaume eschatique de Dieu à la fin des temps : lors de la transfiguration plénière de nos histoires d’Eglises et de toute l'Histoire récapitulée en Christ, lors de la christification achevée de la Création entière, de tous les mondes "visibles et invisibles" (in patria).

Publié dans CAHIERS UNITE DES CHRETIENS no 1


[i] De ce fait, les orthodoxes d’aujourd’hui, pas moins certes que les autres confessions historiques, doivent se mesurer constamment à la grande Tradition de l’Eglise indivise.
[ii] Cf. J. Zizioulas, "Le Mystère de l'Église dans le tradition orthodoxe", dans Irénikon t. 60/3 (1987/3), p. 323.
[iii] En qualifiant cette approche d' "onto-sotériologique" je fais référence à une approche résolument sotériologique, christique, qui comporte des retombées ontologiques (et pas simplement éthiques, mystiques ou autres). Le rapport entre sotériologie (le salut au sens large du terme) et ontologie (l'existence, l'être) des étants créés est non convertible. Pour l'approche trinitaire de l'économie de Dieu dans son ensemble cf. notamment F. Heinzer, “L’explication trinitaire de l’économie chez Maxime le Confesseur”, dans F. Heinzer et Ch. Schönborn (éd.) Maximus Confessor — Actes du Symposium sur Maxime le Confesseur, Fribourg, 2-5 septembre 1980, Freiburg 1982, p. 159-172.
[iv] Cf. J. Zizioulas, "Le Mystère de l'Église dans le tradition orthodoxe", dans Irénikon t. 60/3 (1987/3), p. 325. Pour cette partie de mon travail je suis largement redevable à un petit texte peu connu de J. Zizioulas ("Le fondement trinitaire de l'ecclésiologie") paru en grec et traduit en français dans Synaxe : Bulletin de liaison des orthodoxes francophones de la région Midi-Méditeranée (Métropole grec-orthodoxe de France), 1998/3, p. 3-6.
[v] La formule relève du IVe Concile œcuménique confirmant la réalité de l'union personnelle avec le Dieu incréé (en Christ) de toute créature —créée en dehors de Dieu lui-même (dans le néant) et située face à Dieu lui-même (comme autre que lui). Loin d'être supprimés, le néant et l'altérité de la créature sont promus et élevés dans une dignité inouïe, lors de cet événement christique et l'accueil de ce don incréé. Dans une perspective asymétrique, néochalcédonienne, qui ne maximalise la réalité créée qu'en la minimalisant, l'élévation ontologique du créé dans la résurrection et la vie (selon la grâce de Dieu faite au créé) est à la mesure de son abaissement ontologique dans la mort et le néant (selon la nature même du créé).
[vi] Cf. J. ZizioulasIl creato come eucaristia, coll. Spiritualità orientale, Ed. Qiqajon, Magnano (VC) 1994.
[vii] On n’insistera jamais trop sur l’unicité communionnelle, sur l’altérité et la solidarité, absolues au sens ontologique du terme, de chacune des personnes trinitaires —des seules « personnes » véritables à proprement parler— qui au lieu de s’effectuer dans la distance et la séparation des unes par rapport aux autres se réalise dans l’identité et la solidarité absolue (mais non indistincte !) de chacune avec les autres, dans leur communion infinie.
[viii] Cf. F.-X. DurwellJésus Fils de Dieu dans l'Esprit Saint, Coll. Jésus et Jésus-Christ n° 71, Desclée, Paris 1997.
[ix] Voir notamment "La Vie en Christ" de Nicolas Cabasilas.
[x] Cf. J. ZizioulasEucaristia e Regno di Dio, coll. Spiritualità orientale, Ed. Qiqajon, Magnano (VC) 1996, p. 18-21.
[xi] Cf. J. Zizioulas, "Le Mystère de l'Église dans le tradition orthodoxe", dans Irénikon t. 60/3 (1987/3), p. 323-335. 
[xii] Cf. J. ZizioulasEucaristia e Regno di Dio, coll. Spiritualità orientale, Ed. Qiqajon, Magnano (VC) 1996.
[xiii] Pour la question de la catholicité cf. “La Communauté eucharistique et la catholicité de l’Église”, dans Istina, t. 14 (1969), p. 67-88 [cf. L’Être ecclésial, p. 111-135].
[xiv] Pour l’ensemble de cette question on peut se référer entre autres à J. Zizioulas, “The Bishop in the Theological Doctrine of the Orthodox Church”, dans Kanon VII. Der Bischof und seine Eparchie [L’évêque et son éparchie] Jahrbuch der Gesellschaft für das Recht der Ostkirchen, Verlag des Verbandes der wissenschaftlichen Gesellschaften Österreichs, Vienne 1985, p. 23-35.
[xv] Cf. en particulier l’ouvrage de J. Zizioulas, L’unité de l’Église dans la sainte eucharistie et l’évêque au cours de trois premiers siècles, Athènes 1965 [tr. fr. Métropolite Jean de PergameL’Eucharistie, l’Evêque et l’Eglise durant les trois premiers siècles, coll. Théophanie, Desclée de Brouwer, Paris 1994].
[xvi] Pour une analyse détaillée de la question cf. entre autres J. Zizioulas, “La continuité avec les origines apostoliques dans la conscience théologique des Églises orthodoxes”, dans Istina, t. 19 (1974), p. 65-94 [cf. son L’Être ecclésial, p. 136-170].
[xvii] Cf. J. Zizioulas, “La primauté dans l’Eglise : une approche orthodoxe”, dans SOP, n° 249 (juin 2000), Supplément (Doc. 249.A).





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